Source: Nasa
New York sens dessus dessous
Evansville, Indiana, fin 2010
Ici, les librairies ne sont pas de petits magasins sur lesquels on peut tomber au coin d’une rue. Même parmi les centaines de boutiques des immenses « malls », il est rare d’en trouver. Ici, il faut prendre sa voiture et la garer sur le parking de Borders ou Barnes & Noble, les deux plus grosses librairies du pays-continent, où aller chez Walmart, la première chaîne de supermarchés, et dégotter au rayon livres, parmi les bestsellers du New York Times, deux titres intéressants.
L’Homme qui tombe (2007), de l’encore-vivant-mais-déjà-culte Don DeLillo, commence ainsi : « Ce n’était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. » On s’attend, venant de l’auteur d’Underworld, à un grand roman-fleuve explorant l’univers éclos de cette scène apocalyptique, mais ce n’est pas vraiment le cas. Le roman raconte la vie de Keith Neudecker après qu’il a réchappé des attaques du 11 septembre. À travers sa famille, ses collègues, ses amis (morts ou vivants), et avec en contrepoint l’histoire de l’un des terroristes, on a bel et bien une sorte de vue panoramique de l’événement, son avant, son pendant, son après. L’auteur maîtrise son art, c’est indéniable ; mais on referme le livre avec un peu de frustration et une sorte d’à quoi bon, parce que tout ou presque dans ce roman est sans espoir, sans rémission.
On peut alors se tourner vers Et que le vaste monde poursuive sa course folle (Let the Great World Spin, 2009) de Colum McCann. Pour traiter les événements de 2001, l’auteur se sert d’un jour d’été de 1974 où un funambule pour le moins intrépide a marché, dansé, couru sur une corde tendue entre les toutes nouvelles tours jumelles du World Trade Center. Autour de cette performance, les vies d’une dizaine de personnages se croisent : un prêtre irlandais, des prostituées du Bronx, un couple d’artistes drogués, des mères de soldats morts au Viêtnam… Loin du désenchantement de L’Homme qui tombe, McCann scanne New York de haut en bas et de bas en haut et y recherche la beauté des gestes – que ce soit ceux d’un funambule sur son fil, d’une habitante de Park Avenue qui ouvre le réfrigérateur la nuit quand son fils lui manque, ou d’un homme qui permet à des prostituées d’utiliser sa salle de bains entre deux clients, même s’il se fait pour cela régulièrement démolir la face.
Deux romans qui creusent New York et en font un monde, et ils ne sont pas les seuls : des décombres du 11 septembre n’ont pas fini de surgir les tentatives d’en faire quelque chose.
Bruno Pellegrino
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