samedi 14 juillet 2012







Le Passe-Muraille, No 89, de juin 2012, vient de paraître.
Une livraison entièrement consacrée à 17 jeunes auteurs romands.

EDITORIAL

Où en est la littérature romande après la disparition des figures marquantes que furent une Alice Rivaz, un Georges Haldas, un Jacques Chessex, un Maurice Chappaz ou, tout récemment, un Jean Vuilleumier ? Y a-t-il continuité ou rupture entre ceux-là et les auteurs nés après 1980 alors que disparaissent les revues, les rubriques littéraires dignes de ce nom et toute une société de lecteurs attentifs ?
C’est à ces questions que nous aimerions donner une ébauche de réponse dans cette livraison d’été du Passe-Muraille réservée entièrement, en cette vingtième année, à des auteurs de moins de trente ans. Si discutable que soit le critère d’âge, le fait est que la marque Jeunesse fait désormais partie des signes de reconnaissance. Une quinzaine d’écrivains romands débutants se sont associés cette année à l’enseigne de l’AJAR, et les non moins juvéniles éditions Paulette nous ont fait découvrir divers nouveaux talents, à commencer par Aude Seigne, récompensée par le Prix Bouvier. À ce propos, on remarquera que cette découverte, comme celle de Quentin Mouron, n’ont pas été le fait d’éditeurs romands reconnus mais de jeunes outsiders tels Sébastien Meyer, fondateur de Paulette, ou Olivier Morattel, éditeur quadra.     
Or que nous dit cette relève ? Sans généraliser : que le label local, la bonne vieille « âme romande », le « complexe d’Amiel » synonyme d’introspection ou de conscience malheureuse, ne pèsent plus guère. Les jeunes auteurs voyagent et vibrent à l’unisson d’un monde en reformation. Le poids du monde se fait ressentir chez les uns, tels Douna Loup, Elodie Glerum, Mathias Clivaz ou Quentin Mouron, tandis que d’autres relancent le chant du monde, tels Daniel Vuataz, Nicolas Lambert ou Maxime Maillard.
Mais lisez plutôt, écoutez ces nouvelles voix…


Jean-Louis Kuffer


dimanche 5 juin 2011

Les Mascarades par Daniel Vuataz


ill. Camille Marshall
Les mascarades
(Trois histoires de costumes)

Pour les enfants d’Antoinette Culet

 

La traque


Le premier homme marche les yeux froncés vers les branches bleues des sapins, tendu à la recherche d’un signe. Le deuxième homme avance les mains en casquette, une herbe entre les dents, fouillant du regard le fond râpé de la forêt. Le premier homme dépasse sans le voir un jeune cerf élaphe, tapi dans un creux du terrain. Le deuxième homme s’appuie sans le savoir contre le perchoir d’un jeune loup-cervier, fondu dans les branches et le ciel. Les deux hommes progressent de front, à un jet de pive l’un de l’autre. Le premier homme essuie du dos de sa main la transpiration qui perle sous ses sourcils, son fusil serré dans le poing. Le deuxième homme, à l’affût, mâchonne son herbe et avance souplement. Les deux jeunes animaux regardent le chasseur et son rabatteur s’éloigner en direction des crêtes boisées de la forêt, l’un suivant l’autre comme la douleur le coup. Les deux hommes disparaissent derrière les rochers bruns, à plusieurs jets de pierre. Le cerf élaphe tend le cou et le chasseur réapparaît plus loin, accroupi derrière un tronc seul, son fusil contre la joue. Le loup-cervier observe de son perchoir le rabatteur accomplir un cercle lent autour d’un bosquet de fougères. Le plafond de la forêt se fend et les moucherons restent suspendus dans la lumière qui rejoint le sol. Le rabatteur semble faire un signe du poignet en direction d’une ombre bleue dans les fougères. Le chasseur acquiesce des paupières et se positionne. Il hausse l’épaule sous son fusil, son corps est immobile comme le ciel avant un orage de chaleur. Les deux animaux approchent anxieusement, ne pouvant se résoudre à se montrer. Le rabatteur disparaît de leur vue, sur ses avant-bras, le menton dans la terre, observant l’ours qui respire avec régularité au milieu des fougères fanées. Le ciel est bas sur la forêt. Le rabatteur roucoule quelque chose de sylvestre. Les deux animaux sursautent lorsque les deux coups de feu claquent dans l’air. L’homme au fusil n’a pas bougé. Une petite fumée stagne au dessus de sa tête alors qu’il casse son fusil en silence. Son frère s’approche doucement de l’ours qui n’a pas bronché, deux balles enfoncées dans sa fourrure comme deux pierres dans du sable mouillé. Le tireur observe depuis son poste, un bras dans la cartouchière, son fusil plié sur l’autre. Le rabatteur s’agenouille à côté de la prise, il a un mouvement de terreur. Le tireur se lève en craquant les genoux, questionnant des yeux en direction de la curée, ses sourcils l’un contre l’autre. Le rabatteur a maintenant l’air inquiet, il considère la forêt autour de lui en tenant son herbe entre les doigts. Le tireur a rejoint son frère, ils regardent. La panoplie d’ours, les coutures apparentes sous la lourde fourrure, la mâchoire fixée au vieux cuir, fume en deux endroits alors que l’homme barbu, sa tête encore à moitié sous le crâne amovible de la bête, ressemble à un enfant qui dort. Les chasseurs retirent complètement le masque d’ours de la tête de l’homme, utilisant les manches de leurs habits – car la mort, voyez-vous, est peut-être contagieuse. Un craquement fait bondir les deux frères qui se retournent. Un cerf élaphe et un loup-cervier, tremblants sur leurs pattes de derrière, leur tête entre les mains, sortent lentement du bois. Sans comprendre, les deux chasseurs examinent les deux enfants, identiques sous leur assemblage de fourrures cousues, s’approcher affligés de la dépouille de leur père qui continue de saigner dans son costume ouvert.

 

L’enjôleuse


La jeune fille entre dans la ferme familiale, fiévreuse, et monte à l’étage sans prendre la peine de retirer ses souliers noirs. La jeune fille bifurque par la chambre de ses parents, sans s’attarder sur les draps noirs et les couronnes noires qui recouvrent le côté gauche du lit conjugal. La jeune fille grimpe au galetas et allume sa lampe à pétrole, sans se soucier des insectes piégés qui tintent et fument contre le verre bouillant. La jeune fille défait ses cheveux, se déshabille en désordre, déposant en une petite pile penchée sa jupe noire, son corsage noir, ses gants noirs, son châle noir et ses souliers noirs. Nue et rousse comme la flamme, elle frissonne et soulève le couvercle d’un vieux carton. Sur sa peau brûlante elle passe une robe crème, un tablier de dentelle brune et se coiffe d’un chapeau de paille qu’elle trouve tout au fond du carton. La jeune fille se retourne vers la glace poussiéreuse, dans le halo de lumière : c’est vrai qu’elle lui ressemble étrangement, maintenant. Alors la jeune fille referme la trappe du galetas derrière elle, descend au jardin et passe devant le bâtiment des chevaux, en direction de l’enclos. Leur mère apparaît aux jumeaux qui attendent au soleil, leurs petites jambes identiques balançant dans l’air chaud du corral, à califourchon sur les rondins brûlants. La jeune fille s’arrête à quelques mètres de ses petits frères, au visage une moue enjouée, sur ses hanches ses mains comme elle l’a tant vu faire. Les jumeaux ont le visage qui s’allonge et les yeux qui s’écartent. La jeune fille a sa poitrine qui lui serre le thorax sous le tissu rêche de la robe, le cœur qui tamponne contre la gorge. Les jumeaux miaulent et brament et battent des mains autour de leur mère – ils le savaient bien, eux, qu’elle finirait par revenir ! –, la complimentant sur sa beauté, n’osant toutefois toucher la flamme. La jeune fille explique à ses nouveaux enfants qu’il faut annoncer la bonne nouvelle, à commencer par le père, qui sera heureux de l’apprendre, lui qui est parti pour une battue. Les jumeaux s’échangent des yeux fous, gesticulent et trépignent, tentant de s’expliquer mutuellement un bonheur identique. Leur mère les prévient que la battue est pour un ours, et que le père a choisi de jouer l’appât. Les jumeaux répondent sans sérieux que plus rien ne leur fait peur, qu’ils ont hâte et qu’ils ont chaud. La mère leur explique que la forêt est bien plus grande que ce qu’ils s’imaginent. Les jumeaux racontent qu’ils connaissent déjà ce sentier jusqu’à l’arbre couché, que ce n’est pas un problème et qu’ils ont soif. La mère leur annonce que cette fois-ci, ils devront aller beaucoup, beaucoup plus loin, et que la bête se dirigeait vers la crête des bois, en direction des vallées. Les jumeaux assurent, des plis fauves sur le front, que le père, il ne va pas en revenir ! Comme ils courent en direction de la maison, la mère leur crie d’utiliser leurs accoutrements favoris, et de se dépêcher de rentrer pour le dîner. Les jumeaux disparaissent derrière le coin du bâtiment, détalant dans la lumière du soir, l’un devançant l’autre comme le cœur la raison. La jeune fille retire son chapeau de paille et délace le haut de sa robe pour redonner de la place à ses seins. Elle a son cœur qui lui bondit entre les poumons. Un cerf élaphe et un loup-cervier, leurs lourdes fourrures couturées dans le dos, leur tête sous les bras de deux enfants identiques, s’encourent dans le pré chaud qui sépare le domaine de la forêt. Les larmes montent aux yeux de la jeune fille qui n’a ni joie ni tristesse. Ses cheveux roux lui brûlent la tête et sa robe lui tombe maintenant presque sur les hanches. Ce soir, il n’y aura peut-être personne pour revenir dîner.

                                                                

L’issue


Le premier des deux hommes avance précautionneusement sur la côte fragile de la crête, son fusil en bandoulière, ses yeux rivés sur les mousses entre les racines où il cherche la suite de la piste. Le second des deux hommes marche à la même hauteur que l’autre, à un jet de pive en contrebas, le regard fouillant les branches les plus hautes à la recherche d’un nouveau présage. Devant eux, les ravines succèdent aux éboulis, et dans les trous des arbres le ciel brun est immobile comme avant un orage de chaleur. Les deux hommes s’arrêtent brusquement, l’un imitant l’autre comme le renard l’enfant. Comme en équilibre sur une ligne fictive, à l’affût d’un souvenir perdu, la tête penchée et les yeux clos pour mieux recevoir, les deux hommes se baissent. Le premier des deux hommes replace sur son visage le mufle de loup-cervier qu’il avait retiré pour reprendre haleine, faisant à l’autre un geste des yeux en direction du fourré de fougères fanées. Le second des deux hommes abaisse sur la sienne la tête de cerf élaphe qui lui pend sur la nuque, frôlant des andouillers les branches les plus basses quand il se redresse avec calme. Le fourré de fougères semble bouger une première fois pendant que le premier des deux hommes abaisse le chien de son fusil. Le fourré de fougères semble bouger une seconde fois alors que le second des deux hommes contourne la zone de plantes sèches, faisant des signes de tête évidents en direction du gibier. Les dieux et les bêtes retiennent leur souffle dans la chaleur de la forêt. Deux coups de fusil font trembler le bras du premier des deux hommes alors que la lumière pénètre dans la clairière par une fente du dôme. Le second des deux hommes s’approche prudemment de la scène, relevant son masque de cerf au-dessus de sa tête comme s’il priait le ciel. L’air chauffe sous la voûte des arbres. L’homme-cerf écarte des mains les fougères les plus hautes et reste un instant suspendu au-dessus du vide, sa tête d’humain vers la terre, sa tête de cerf contre le ciel. Le tireur se hisse hors de son trou, son masque de loup-cervier dans la main, interrogeant des yeux. Les fougères jaunes sont des flammes immobiles et les deux hommes se tiennent coi, le cœur étrangement serré. Un ours s’approche angoissé, sa tête formidable entre ses mains, sa lourde fourrure couturée jusque dans le dos. L’homme dans l’ours contemple les deux chasseurs, puis ses yeux vont sur les deux petits squelettes qui brillent sans chaleur au milieu des fougères. Des cloches tintent au loin. L’homme dans l’ours pleure dans sa barbe, alors que ses deux fils, étreints d’une indicible nostalgie, examinent sans comprendre les vieux restes de deux petites créatures identiques. 

 

Daniel Vuataz

L'Enjôleuse est parue dans le Passe-Muraille n°83,

Juillet 2010

 

A lire aussi du même auteur :
Trois histoires de rivières sur le blog "Parole en Archipel"

Passe-Muraille n°86 Juin 2011

Amis lecteurs,

Le Passe-Muraille d'été est sur le point d'être envoyé sous presse.

Voici de quoi se mettre l'eau à la bouche :


SOMMAIRE PM n°86

AUTRES HORIZONS
Blaise Cendrars – Dany Laferrière – Erri De Luca – Rosa Montero
LETTRES ROMANDES
Bruno Pellegrino – Corinne Desarzens – Jean-François Schwab
CHRONIQUES, INÉDITS
Pascal Janovjak - Philippe Rauss – Philippe Di Maria – Pascal Rebetez




mardi 12 avril 2011

La cotte de mot de Georges

par Georges Nivat

Georges était mon « tiozka » comme on dit en russe, où un mot précis désigne ce compagnonnage de prénom et d’ange, Georges aimait ce compagnonnage, et me le rappelait souvent. J’entends encore sa voix chaude et sourde comme celle d’un alto, qui m’appelle par notre prénom. C’était à Bordeaux, à Genève, ou à Paris, sou¬vent dans un café, mais aussi dans une de ces foires aux livres qu’il n’aimait pas, mais supportait comme un joug imposé au boeuf littéraire qu’il était. Son long artisa¬nat de la main qui écrit, son oeil défaillant en plongée sur le graffiti comme la loupe d’une divinité scrutant les Gulliver humains – il était gnome et dieu, il semblait un Héphaïstos de l’écriture. « L’acharnement à écrire est un acharnement amou¬reux », écrit-il lui-même. Et cet acharnement l’apparen¬tait à un Russe qu’il aimait beaucoup, édité en fran¬çais par son ami Vladimir Dimitrijevic dans nos chers Classiques slaves, Vassili Rozanov. Il se place d’ail¬leurs sous son invocation dans Le Livre des passions et des heures. « Mon rôle est de me complaire dans l’être humain, non de la haïr ».

La sagesse douce, la bien¬veillance qui émanait de lui était unique. C’était une disponibilité à l’humain, qui pour lui était équivalent à la disponibilité d’écriture. Quelque chose de stoïcien plus que zen. Une fermeté d’âme que chacun ressentait auprès de lui, un stock de vertu au sens italien du mot : le courage, le labeur, la grâce qui descend sur les humbles et sur les choses, l’aube, la pluie, un mur, un préau…

Il était comme enraciné dans ce quotidien des choses reçues dans une humilité qui pour moi l’apparente à Charles Péguy. Et pourtant il me semblait souvent faire simplement halte dans notre monde, une halte certes plus terrienne que la nôtre, mais une halte entre deux chemi-nements vers des destina¬tions que seul son oeil inté¬rieur connaissait.

On se sentait protégé par la cotte de mots que sa prose tricotait avec sa poésie et le quotidien qui était au bout des aiguilles. Cette cotte de mailles protectrice était un manteau d’Intercession, elle protégeait, et protégera en¬core longtemps ceux qui ai¬ment entrer dans son bour¬donnement de mots. Elle défend de l’usure des choses, des mots, de la vie. L’État de poésie où il nous faisait glisser presque contre notre gré est une enfance qui per¬dure, cheminant à côté de notre âge, de notre vieillesse. En parlant de sainte Thérèse d’Avila Georges parle de présence illuminative, et dé¬finit par là même la sienne propre. Mais ce mystique-là ne reste pas dans le flou, il laboure sans répit la connais¬sance ; il est un glaneur de toutes les littératures, de la russe à l’espagnole, de tous les terroirs, du Léman à la Crète, n’aimant rien tant que le détail, les larcins pris au quotidien, proche ou lointain. Ce labour obstiné d’un terroir journalier nous a donné un inimitable texte sans début ni fin, voisinage de rue, et compagnonnage du monde.

Il aimait, ou il n’aimait pas. Il n’était pas tiède. Il ne louchait pas vers les feux de la rampe pour savoir vers quoi ils étaient braqués. Un périmètre étroit lui ouvrait l’authentique, un tour du monde des cultures l’assu¬rait d’être bien planté sur la terre des hommes. Et c’est sûrement ce qu’il nous laisse de plus précieux : l’exemple et le don d’être soi, rien que soi, et tout soi dans notre monde clignotant. Frère Georges, mon « tiozka », vous nous manquez.  G.N.

Le Passe-Muraille, No 85

IN MEMORIAM

Pour Georges Haldas : Georges Nivat – Serge Molla – Matthias Tschabold


Pour Anne-Lise Grobéty : Bruno Pellegrino

LETTRES ROMANDES

Alain Bagnoud – Etienne Barilier – Nicolas Bouvier et Thierry Vernet – Jean- Yves Dubath – Hughes Richard – Jean-Louis Kuffer – Michel Layaz

AUTRES HORIZONS

Jean-Pierre Guéno – Frédéric Jaccaud - Xavier Mauméjean – Philippe Muray – Philip Roth Matthias Zschokke

Une bonne nouvelle

Notre compère Bruno Pellegrino, 21 ans et des poussières, vient de décrocher le prix du Jeune Ecrivain 2011 pour sa nouvelle intitulée L’Idiot du village. À lire dans le recueil paru chez Buchet-Chastel sous ce titre. Chapeau, gamin


Décidément, le p’tit Bruno n’en finira pas de nous étonner. Il y a quelques années de ça, ses profs n’en croyaient déjà pas leurs yeux : que ce baby leur balance des copies pareilles ! Le père, la mère, l’oncle furent soupçonnés : que non pas, c’était lui le coupable! Même que, bien avant son bac, lui fut attribué le prix de la meilleure composition de son établissement scolaire, publiée in extenso dans le journal 24Heures.
Dans la foulée, je  lui proposai de collaborer au journal littéraire Le Passe-Muraille, puis à la rubrique culturelle du grand quotidien vaudois. Il écrivait, alors, comme un digne sexagénaire de 17 ans. Je lui suggérai de rajeunir un peu. Il s’y employa. À dix-huit ans, il écrivait comme on le fait à quarante ans, trente ans même. Et puis il passa son bac, entra en fac de lettres, s’envola bientôt pour les States avec sa bonne amie, pour y passer une année d’études.
C’est de là-bas qu’il a débarqué l’autre jour au Salon de Paris où l’équipe du prix du Jeune Ecrivain, Christiane Baroche en tête, l’attendait pour lui remettre le Premier prix de l’année 2011. À préciser qu’en 27 ans, le prix du Jeune Ecrivain a déjà reçu 20.000 textes de toute la francophonie et publié 150 lauréat, révélant notamment Marie Darrieussecq, Antoine Bello et Jean-Baptiste Del Amo.
Cette année, sous le titre éponyme de L’Idiot du village, la cuvée 2011 nous révèle douze textes en recueil, avec la nouvelle de Bruno Pellegrino en point de mire. Christiane Baroche, éminente nouvelliste comme chacun sait, la présente en ces termes : « Cette nouvelle terrible, jaillie des dix-neuf ans de Bruno Pellegrino, démontre que la peur trouve en quelque sorte une raison de se venger des morts inattendues, des catastrophes brutales et de l’annonce d’une guerre imminente, sur un bouc émissaire commode, l’idiot du village du coin ».
L’idiot du village représente en effet, comme pour illustrer, admirablement et sans doute en toute ingénuité, la thèse de René Girard, le phénomène de la crise mimétique collective à l’origine de nombreux mythes et légendes. Dans une langue voulue fruste, pour mieux pointer le type du narrateur frotté de veulerie populaire, le jeune écrivain parvient à établir une tension crescendo dans un contexte villageois évoquant à la fois la terre vaudoise de Ramuz et, plus universellement, une province profonde de n’importe où. En une vingtaine de pages, le drame se prépare, implacablement, et débouche sur l’issue prévisible mais qui nous prend néanmoins à la gorge. C'est fort, le môme... (JLK)

L’idiot du village, de Bruno Pellegrino, et autres nouvelles. Prix du Jeune écrivain 2011. Buchet-Chastel, 293p.