dimanche 13 février 2011

Bibliothèque américaine (V)


Wikipedia
 L’Europe, cette Amérique

Evansville, Indiana, 2011

Je ne réalisais pas, avant de vivre ici, à quel point la fascination était réciproque entre le Vieux et le Nouveau Continent. Je m’en suis aperçu peu à peu, au fil de mes conversations, puis en tombant sur un livre d’Henri James, que je ne connaissais que de nom.

Si j’ai acheté Daisy Miller, c’est avant tout parce la quatrième de couverture disait que l’héroïne, une riche, jeune et belle Américaine, passait ses vacances « on the shores of Switerland’s Lac Leman » ; et toute une partie de ce petit roman, en effet, se passe à Vevey, dans une Suisse idyllique faite d’hôtels, de lacs et de châteaux. La suite de l’histoire voit la pauvre Daisy Miller se lier d’amitié à un homme, tomber amoureuse d’un autre, jusqu’à l’issue fatale, dans une Rome colonisée par les Américains.

C’est dans cette même ville que se passe une bonne partie du célèbre roman de Patricia Highsmith, Le Talentueux Mr. Ripley, que l’on est invité à lire comme une réécriture contemporaine des Ambassadeurs d’un certain Henri James. Tom Ripley est un jeune homme qui ne va pas fort. Tôt orphelin, élevé par une tante qui le méprise, il vit d’arnaques et change régulièrement d’appartement, dans le New York des années 50. Jusqu’au jour où un homme le supplie d’aller en Europe d’où son fils, Dickie, ne se décide pas à revenir. Tom accepte, se rend en Italie, retrouve Dickie. Mais la vie de ce dernier, sa relation ambiguë avec Marge, une Américaine, et sa fortune, rappellent trop cruellement à Tom sa propre vie, et son esprit, rationnel en apparence, invente une solution discutable.

Bien souvent, l’attrait pour l’Europe s’avère dangereux : Tom Ripley se retrouve, entre Mongibello, la Côte d’Azur et Paris, dans de beaux draps (au sens propre et au figuré) ; Daisy Miller perd, à Vevey puis à Rome, plus que son honneur ; Jake Barnes, le narrateur du roman d’Hemingway Le Soleil aussi se lève, erre entre la France et l’Espagne, traînant une atroce blessure de guerre ; les protagonistes de Tendre est la nuit de Fitzgerald brûlent leur mariage entre Zurich et la Riviera française. La liste est longue des héros américains que l’Europe a écrasés. Mais l’espère ce nostalgie qu’ils ont tous pour le Vieux Continent est étrangement contagieuse, et vu d’ici, l’autre côté de l’Atlantique charme, attire, donne envie que l’on s’y aventure.

(Contrepoint fortuit, je viens de lire à San Francisco L’Or de Blaise Cendrars, qui raconte comment Johann August Suter, un Bâlois du XIXème siècle, quitte femme et enfants pour la Californie, où il devient riche puis est ruiné lorsque le premier or est découvert sur ses terres. Ou comment cette fascination réciproque est aussi, du moins en littérature, réciproquement dangereuse…)

Bruno Pellegrino