jeudi 15 janvier 2009

Jacques Chessex en son Monumentum




 
C'est un grand styliste de la langue française qui a disparu au soir du 9 octobre 2009

en la personne de Jacques Chessex, ainsi qu'un personnage légendaire du monde des lettres romandes. Dans la postérité de Ramuz et de Cingria, son œuvre est incontestablement, avec celles d’Alice Rivaz, de Maurice Chappaz, de Georges Haldas ou de Philippe Jaccottet, des plus marquantes de la littérature romande et francophone du XXe siècle. Du seul point de vue des pointes de son écriture, Chessex nous semble n’avoir qu’un égal au nombre de ses contemporains, en la personne de Chappaz. Or ce qui saisit, chez cet écrivain littéralement possédé par le démon de la littérature est, malgré des hauts et des bas, sa capacité de rebondir, de se rafraîchir et d’entretenir un véritable jaillissement créateur continu, comme dans la formidable galerie de portraits de ses Têtes ou dans Le Désir de Dieu, qu’on pourrait dire son provisoire testament existentiel, esthétique et spirituel. Plus récemment, Jacques Chessex avait atteint un regain de notoriété au fil de narrations réalistes pleines de relief, tel Le vampire de Ropraz, en 2006, l'hommage émouvant à la figure maternelle dans Pardon Mère, en 2008, ou la reprise, en 2009, d'un récit consacré à un meurtre raciste des années de guerre en Suisse, intitulé Un Juif pour l'exemple...

Il y avait du forcené en Jacques Chessex, pour le pire autant que pour le meilleur. Rien de ce qui est écrit ne lui était étranger, pourrait-on dire de cet écrivain flaubertien par sa passion obsessionnelle, quasiment religieuse, du Monumentum littéraire. Jacques Chessex s’est portraituré maintes fois en renard, et c’est en effet la figure de bestiaire qui lui convenait le mieux, à cela près qu’il y avait aussi chez lui du hérisson bardé de piquants et rapportant tout à son Œuvre. Celle-ci n’avait rien pour autant de statique ni de prévisible: elle impressionne au contraire par son évolution constante et son enrichissement, sa graduelle accession à une liberté d’écriture aux merveilleuses échappées, rappelant à l’évidence le meilleur Cingria ou le Traité du style d’Aragon.

Enfin, l’œuvre de Jacques Chessex procède à la fois d’un noyau poétique donné et d’un geste artisanal hors du commun, d’un élan obscur et d’un travail concerté sans relâche ; elle tire l’essentiel de sa dramaturgie et de sa thématique d’un scénario existentiel marqué par le suicide du père, évoqué et réinterprété à d’innombrables reprises, à la fois comme une sombre nue zénithale et un horizon personnel dégagé, un poids de culpabilité et une mission compensatoire, une relation particulière avec la mort et un appel à la transgression.



Jean-Louis Kuffer

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