mardi 9 novembre 2010

Besoin d'Amériques


Dans une semaine paraîtra la nouvelle livraison du Passe-Muraille, No 84. Le numéro est marqué par une cohérence particulière, fondée sur une série de lectures se faisant écho à de multiples égards, autour du thème central de l'Amérique vue et vécue, fantasmée ou critiquée. Auteurs américains et européens s'y croisent...  

AU SOMMAIRE

Amériques

Jean-Stéphane Bron. Matthieu Ruf, écrivain et rédacteur économique à L'Hebdo, analyse le film du réalisateur romand consacré à la crise des subprimes, Cleveland contre Wall Street.

Annie Dillard. René Zahnd présente Les Vivants,  roman épique de la conquête de cette auteure majeure, encore trop peu connue, et Jean-Louis Kuffer rend compte d'un recueil de réflexions vertigineuses, intitulé Au présent.

Bret Easton Ellis. Bruno Pellegrino, jeune écrivain et étudiant en lettres actuellement en séjour aux USA, commente le dernier roman traduit de l'observateur aigu du cauchemar climatisé à la manière californienne, dans Suite(s) impériale(s), où l'on retrouve le protagoniste de Moins que zéro vingt ans après...

Adam Haslett. Matthieu Ruf a lu L'Intrusion, roman de la crise américaine contemporaine qui met en scène une vieille prof d'histoire et un trader aux dents longues.

Barbara  Kingsolver. Hélène Mauler, traductrice et critique, a lu Un autre monde, dernier roman paru en traduction  de la romancière et essayiste.

John Kennedy Toole. Patrick Vallon, éditeur et critique, revisite un classique pré-punk de la littérature américaine contemporaine, évoquant aussi les tribulations personnelles de l'auteur de La Conjuration des imbéciles.

Andy Warhol. Jean-François Thomas, critique spécialisé dans le domaine de la SF, décrit le roman très original de Philippe Lafitte, qui offre une seconde vie à l'illustre plasticien, débouchant sur une histoire d'amour pour le moins atypique.

Rentrée 2010

Michel Houellebecq. Antonin Moeri, écrivain et critique, revient sur La carte et le territoire, Prix Goncourt 2010 et roman-essai captivant.

Maylis de Kerangal. Jean-Louis Kuffer détaille son coup de coeur de la rentrée, pour Naissance d'un pont, prix Médicis 2010.

Douna Loup. Claude Amstutz, libraire et critique, dit tout le bien qu'il pense de L'Embrasure,  très beau premier roman de l'auteure genevoise.

Lettres romandes

Vincent Gessler. Jean-François Thomas présente un court roman âpre  et captivant d'un jeune auteur romand de science fiction, intitulé Cygnis.

Sébastien Meyer. JLK a aimé le nouveau roman du jeune auteur-éditeur, Wagner=1, qui tient de l'éducation sentimentale et fait alterner grand désarroi et rêves fous.

Antonin Moeri. JLK présente également Tam-Tam d'Eden, fresque sensible et drôle de notre drôle de société, modulée en un peu moins de vingt nouvelles.

Jean-Michel Olivier. JLK a failli détester L'Amour nègre, satire carabinée de la société mondialisée, entre Hollywood, les îles de rêve et la Suisse, puis le deuxième degré pas immédiatement évident du roman lui est apparu...

Inédits

Luisa Campanile. Comédienne et traductrice, elle nous offre deux poèmes extraits de son premier recueil, De l'eau et d'autres désirs, paru ces jours chez Samizdat.

Louis Imbert. Voyageur et reporter, il nous a confié des pages de ses carnets new-yorkais de cette année.

Sébastien Meyer. Pour notre rubrique L'Epistole, le jeune auteur adresse une lettre au Passe-Muraille d'une très belle venue existentielle et poétque

jeudi 4 novembre 2010

Bibliothèque américaine (II)


L’Amérique au long du Mississippi

Evansville, Indiana, septembre 2010

« Toute la littérature américaine moderne provient d’un livre de Mark Twain intitulé Huckleberry Finn. […] Il n’y avait rien avant. Il n’y a rien eu depuis » : c’est ce qu’écrivait, en 1935, un certain Ernest Hemingway, dans son livre Les vertes collines d’Afrique. J’ai pensé que c’était un bon début à mon exploration de la littérature américaine. J’ai donc acheté Huckleberry Finn (publié en 1885) en arrivant à New York, et je l’ai lu durant tout mon voyage sur la Côte Est, en Floride, puis à la Nouvelle-Orléans et le long du Mississippi, jusqu’en Indiana – autant dire, pour ces dernières étapes, sur les lieux de l’histoire, mais à l’envers.

Huckleberry est un garçon de douze ans qui un jour décide de fuir son fou de père et son Missouri natal. Il imagine un stratagème pour faire croire qu’on l’a assassiné, et il part dans les bois. Là, il retrouve Jim, un esclave qui, lui aussi, s’est enfui. Ensemble, ils vont descendre le Mississippi sur un radeau, rencontrant sur leur chemin de nombreuses aventures, manquant d’être pris, blessé ou tué nombre de fois, mais finissant toujours par retomber sur leurs pattes.

Qu’y a-t-il de si particulièrement américain là-dedans ? D’abord la langue. Ainsi que l’explique l’auteur dans une note : « Dans ce livre, de nombreux dialectes sont utilisés […]. Les nuances n’ont pas été faites n’importe comment, ou au petit bonheur, mais méticuleusement, et avec les conseils fiables et le support d’une familiarité personnelle avec ces manières de parler. J’explique ceci pour la raison que sans ça, de nombreux lecteurs supposeraient que tous ces personnages essaient de parler de la même façon sans y parvenir. »

Raconté à la première personne, le roman fait la part belle au dialogue, et il faut lire certains passages à voix haute pour donner tout son sens à cette oralité littéraire. Huckleberry parle comme il pense, sans se soucier de la norme, et ceci se retrouve largement dans la littérature américaine (deux exemples parmi bien d’autres : Holden Caulfield dans L’Attrape-cœur de Salinger, et Sal Paradise dans Sur la route de Kerouac). Quant aux thèmes – quête de la liberté et de l’indépendance, nature sauvage et grands espaces, esclavage –, ils trouvent une résonnance particulière dans l’histoire des États-Unis, de la Déclaration d’indépendance de 1776 à la guerre de Sécession (1861-1865).

Un roman américain, donc, peut-être le premier – le premier en tout cas à s’approprier pareillement la langue anglaise (même si Poe, Hawthorne, Melville…). Mais « rien eu depuis », vraiment ?...

Bruno Pellegrino

Le scribe du Petit-Mont


 
Hommage à Georges Haldas, 
qui vient de nous quitter à l'âge de 93 ans.
à lire aussi sur Les Carnets de JLK
Le Scribe du Petit-Mont de Frédéric Rauss
Ce passage magnifique de votre livre A la recherche du rameau d’or:
“Choses que j’ai aimées. Que j’aime encore. A n’en plus finir, je vous dirai. Jusqu’à ce que tombe la plume de mes mains. Et qu’un jour de pluie ou pas de pluie, un homme, jeune encore, la reprenne. Pour dire, contre le mensonge, et l’imposture; contre les faux ordres du monde; contre le cynisme et la dégradation; et comme du fond des catacombes où se cachent tout amour, toute graine, les choses que lui aussi a aimées: l’amour, si douloureux soit-il. Et l’amitié. La confiance. Le merle. Une averse.
Et ainsi de suite.”

Cette plume, Cher Georges, elle est belle comme les ailes qu’on voit se déployer dans le dos des anges de Fra Angelico: arc-en-ciel. Et elle n’est pas d’une pureté factice - vous n’en auriez pas voulu, trop conscient que vous êtes de toute la boue qui entoure le coeur humain. Vous l’avez généreusement partagée, et je fais partie de ceux qui ont la chance de faire un bout de chemin avec vous. Vous m’avez même offert une de ces plumes, petite, pour que je ne m’en sente pas indigne. Au cours de nos innombrables rendez-vous, vous m’avez appris à m’en servir, sans jamais chercher à m’enseigner, ce qui aurait été une entrave à ma liberté, mais avec une qualité que je place aujourd’hui par-dessus toutes: la bienveillance. Notre rencontre fut un petit miracle. Vos écrits, et plus encore votre présence, ont participé à la fécondation de ce que j’ai de plus cher: un amour immodéré du quotidien. La cosse a tôt craqué. Et j’ai compris, instinctivement, qu’il n’y avait pas de grâce plus grande qui pouvait nous être faite que ce quotidien, qui est la seule réalité, mobilise toutes mes forces, et les nourrit. Aujourd’hui, rien ne pourrait venir m’arracher cette petite plume sans m’ôter ce que j’ai de plus précieux, tant elle est devenue mienne, colorée de toutes mes expériences et mes émotions. Je n’ai pas l’envergure d’un albatros marin. Chaque jour le merle me défie et me rappelle mes manquements. Mais qu’importe. Tout est là, à portée de main. Et grâce à cet art de l’attention inspirée qui est le vôtre, j’apprends au fil des heures et des jours à me connaître. Je sais lorsque je sonne faux, j’ai pleinement conscience de mes dérobades ou de mes forfanteries.

Parmi les moments que j’aime entre tous, il y a nos lectures. Les poèmes de Baudelaire par exemple, comme La Servante au grand coeur, “La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,/ Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,/Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.”... Pendant que je les lis, je vous entends réciter pour vous-même, à voix basse, en me précédent, ces vers que vous aimez tant et que vous connaissez par coeur, c’est-à-dire à travers le coeur, qui est votre mémoire, prodigieuse. Je vous connais assez, Cher Georges, pour savoir choisir les livres que je prends avec moi dans ma besace pour monter au Petit-Mont, où une fontaine qui vous est dédiée poursuit son murmure ininterrompu, nonchalante d’être visitée. Je convie Bernanos dont je vous lis la préface des Grands cimetières sous la lune, en sirotant un délicieux verre de Samos que C., toujours si discrète et attentionnée, aura pris soin de nous préparer, avec quelques tartines- et dont j’abuserai, mais en votre compagnie, rien n’est de trop:

“J’écris dans les salles de cafés ainsi que j’écrivais jadis dans les wagons de chemins de fer, pour ne pas être dupe de créatures imaginaires, pour retrouver, d’un regard jeté sur l’inconnu qui passe, la juste mesure de joie ou la douleur. Non, je ne suis pas un écrivain”. (Georges Bernanos, préface aux Grands Cimetières sous la lune).

Ou alors ce sera l’ami Fargue, le poète protecteur de tous les chroniqueurs qui s’essaient à l’art du “moment intellectif”, et à côté duquel vous estimez écrire comme un sous-chef de gare. Je vous ai lu l’intégralité de Poisons, dans lequel il relate son amour des cafés, ce microcosme dans lequel vous avez écrit toute votre vie, comme un vigile, au coeur de tous, absorbant les énergies et les échos du monde tout en étant appliqué à votre tâche - rien à voir avec un voyeurisme primaire, ce sont les énergies bien plus que les mots que vous captiez, ce qu’elles révèlent à l’insu de ceux qui en sont porteurs. Vous m’écoutiez avec la concentration vive qui vous caractérise:

“Citerais-je tous les bistros où il me fut donné d’être jeune et heureux, entouré de camarades, de pensées consolantes ou d’épaules de demoiselles?” (Léon-Paul Fargue, Poisons)

Après un beau passage, nous restons silencieux quelques instants, savourant la justesse du texte, avant que vous me regardiez en me lançant:

- Pas mal, hein?

Et je vous accompagnerai dans le jardin, pour fumer un cigare et parler de ce qui fonde nos vies. Vous m’écouterez. Parfois une expression sur votre visage me dira où ça coince avant que vous ne me suggériez que par là, peut-être, l’effort serait vain:

- Prendre acte, et vivre autrement. Tout est là.

Oui, tout est là. Et j’ai compris qu’il n’est pas nécessaire de gaspiller son temps à vouloir avoir raison. “L’homme est une forêt profonde”, comme l’écrivait Tchekhov, que vous aimez tant, trop profonde, pour vouloir l’éclairer avec notre lampe de poche frontale. Il ne s’agit pas d’argumenter, mais bien plus de témoigner de ce qu’on sent et de ce qu’on vit. Afin que d’autres puissent s’en inspirer. En ayant comme haute exigence d’être fidèle à soi-même, on a une chance de pouvoir devenir un terreau de partage pour des femmes et des hommes, jeunes ou moins jeunes - peu importe, en quête eux aussi d’un peu plus d’authenticité, voire même de vérité, mais je répugne à utiliser ce mot un peu gros et par trop usurpé. C’est en faisant fond sur notre singularité qu’on parviendra, peut-être, à transmettre quelque chose de valable. A votre contact j’ai eu tôt fait de m’apercevoir que la carapace sociale s’effritait, laissant germer des questions impérieuses, comme le sens qu’on donne à sa vie, la place faite à l’autre ou encore notre attitude face à la mort. Autant de choses qui ne se révèlent qu’auprès d’êtres qui, comme vous, ont accepté de se présenter dans leur plus simple habit d’humanité, vulnérable. Ce sont eux qui nous mettent au monde. Et je m’émerveille encore de ce que vous ayez consacré toute votre vie à protéger ce qui est fragile, à votre manière, à travers la poésie. Insouciant et même étranger à toute recherche de succès ou de toute gloire. Vous, qui vous êtes fait un destin de dire le monde, ses atrocités et ses “minutes heureuses”, le paradis perdu et les morceaux épars qui nous permettent de le reconstruire. C’est la seule chose pour laquelle vous vous êtes engagé, avec une fidélité peu commune. Vous êtes l’homme de la plénitude. Et c’est certainement cela qui a séduit le tout jeune adolescent que j’étais, lors de la première conférence où il m’avait été donné de vous entendre. J’accompagnais ma mère, je ne savais pas trop pourquoi - maintenant, je sais. Je n’avais jamais entendu parler de vous. Le thème de la journée était: “Psychanalyse et vocation” - tout un programme, salle pleine, plus de cinq cents personnes. Je m’y suis ennuyé à mourir jusqu’au moment où vous avez pris la parole et là, il y eut un avant et un après. Vous m’avez captivé. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi passionnément intéressant. Et, au fur et que vous parliez, je sentais croître en moi un peu de ce qu’on appelle une vocation, j’ai su que vous étiez en train de m’ouvrir une voie royale - et ardue, vers moi-même. J’ai d’ailleurs encore les notes que j’avais prises ce 5 novembre 1989:

La singularité de chaque être à une force incommensurable. Il n’y a pas de recettes pour traiter l’être unique.

Le livre est une chose qui est dite pour nous faire entrer dans la vie.

Si on aime quelque chose, il faut donner sa vie entière à cela et ne vivre que pour cela.

On est toujours inférieur à ce qu’on aime.

Un infime détail est porteur d’un ensemble de réponses.

Ecrire est un échec fertile.


Je n’imaginais pas alors que la parole puisse ouvrir aussi profondément notre conscience et plonger ses racines aussi loin en nous, rejoignant notre ciel intérieur. C’est ce jour-ci que la question “Que signifie être humain” a commencé à prendre tout son sens - et je ne cesse pas de me la poser.

Mais revenons au Petit-Mont où, le soir venant, je me rendais compte que trois heures avaient filé sans même que je m’en aperçoive. Il était temps que je prenne congé. Mais nous aurions pu prolonger nos conversations à n’en plus finir, parce qu’avec vous, tout fait aube. Oui, sans doute aucun, ces moments font partie des grandes heures d’ententes et d’évidence de ma vie. Comme ils le furent également chez Saïd, le café marocain qui n’existe plus, et où, pendant plus de vingt ans, vous avez travaillé avec une minutie et une vigueur rare, à de beaux livres comme Le livre des passions et des heures dans lequel vous avez su avec faire apparaître le fil d’or qui parcourt l’existence de chacun. Je venais vous retrouver à midi, et nous allions chercher un ramequin avant de nous rendre à la poste, tout en discutant à bâton rompu d’auteurs que vous m’aviez fait découvrir: Nazim Hikmet - “Etre captif, là n’est pas la question, il s’agit de ne pas se rendre”; Umberto Saba - “L’or d’allégresse dont se veine mon champ”; Antonio Machado - “Etre homme, toujours plus homme”; Cesar Vallejo - “Je souffre parce que je souffre”; Pablo Neruda - l’orgueilleux; Ramuz - dont j’aurais tant à dire; Valentin Raspoutine - Vis et n’oublie pas, quel titre; Vassili Grossman - Vie et destin, dont on ne ressort pas indemne; Pascal - que vous tenez pour le plus grand en France au côté de Baudelaire; Eugenio Corti - et son Cheval rouge, un maître livre; Milos Tsernianski - Le roman de Londres et cette scène d’une tendresse particulière où la bien-aimée du protagoniste lui ferme les boutons de sa veste avant qu’il s’en aille; la Bible bien sûr - “Chaque jour un passage et notez ceux qui rejoignent votre propre vécu”. Et bien d’autres encore, que je n’oublie pas. Vous me disiez:

- Vous ne l’avez pas lu? (Evidemment, je ne l’ avais pas lu...) Alors lisez-le pour la prochaine fois et venez me dire ce que vous en avez pensé.

Nous nous quittions sur la grande Plaine ou ailleurs, et je vous regardais vous éloigner, votre sac sur l’épaule, le cigare dans la bouche, rejoindre votre labeur comme un mineur qui travaille dans les catacombes de l’être, au sein de ce que je n’ai pu appeler autrement que le royaume familier. Vous êtes un paysan du ciel, pour reprendre le titre d’un de vos carnets de l’état de poésie. Votre savoir, immense, est tout entier au service de ces trésors infimes que vous cultivez avec patience et soin. Pour ma part, je filais à la librairie Le Rameau d’or, qui porte si bien son nom, me procurer les ouvrages, le regard clair et le coeur palpitant de toutes ces choses que vous aviez illuminées. Avant de revenir vous voir un peu ballot, parce que je n’avais rien compris au passage du Grand Inquisiteur de Dostoïevski. Mais jamais vous ne m’avez jugé, au contraire, vous appeliez Lydia, la charmante serveuse du petit café, pour lui commander trois ballons de rouge, avant d’éclairer avec clairvoyance des textes que je trouvais obscurs. Vous pointiez les lignes de force à partir desquelles le sens de l’oeuvre se révélait - vous auriez fait un formidable commentateur.

Laissez-moi encore vous dire toute ma gratitude pour cette porte que vous ne m’avez jamais fermée, ni à moi ni aux amis que j’emmenais parfois. Il me suffisait de téléphoner et alors se produisait un petit rituel dont je me souviens très bien. Le patron du café ou un serveur vous appelait, “Monsieur Haldas, c’est pour vous” - il y avait presque plus d’appels pour vous que pour les réservations, et, au moment où je m’annonçais, je vous entendais répondre avec une chaleur tonique:

- Eh! Comment allez-vous? Mais oui, venez, attendez, je prends mon agenda.

Que de souvenirs! Même si j’ai l’impression de trahir par ces lignes ce que j’ai pu ressentir. Il me semble impossible de rendre compte de ces moments si précieux. Plus encore de relater ce qui fut dit, qui compose une mosaïque intime dont les éléments sont venus étoiler ma propre substance psychique, comme toute rencontre véritable. De même que je serais incapable de parler théoriquement de vos textes, d’en faire un “essai” composé de lettre morte. Tout ceci est organique, et je ne peux en témoigner, à mon tour, que par ma manière d’être et mes propres chroniques. Dans lesquelles vous êtes bien souvent convié et dont vous serez toujours un hôte privilégié, en toute fraternité. Votre couvert est mis, Cher Georges. Venez prendre place à ma table d’écriture quand il vous plaira.

Frédéric Rauss
paru sur le blog Chroniques de Merlines le 21.08.2010